Ce soir je vais me coucher en pensant à Enrique et Pedro, âpre souvenir du Brésil. Je garde d'eux un regard sombre plein d'un avenir de vide.
Enrique et Pedro avaient vu le jour dans une favelas de São Paulo, pour ainsi dire ils étaient destinés à la rue, elle serait leur unique demeure, leur unique terrain de jeu… et quel jeu…? Francesca les élevait avec son amour de mère, si jeune.
Elle avait eu Enrique alors qu'elle n'avait que quatorze ans. Elle avait été violée par un membre des brigades de la mort lors d'une rafle meurtrière, épargnée mais meurtrie. Pedro est arrivé trois ans plutard, il était le fruit de l'amour. Mais dans les favelas, l'amour n'est pas fait pour durer, la vie vous y ronge deux fois plus vite, la jungle humaine y fait loi. Après quelques temps de bonheur, Francesca avait perdu son amour, il avait disparu le révolutionnaire, le contestataire. Etait-il mort ou emprisonné? Francesca n'en savait rien, elle l'ignorait, ne souhaitant le savoir, ne pouvant le savoir, elle qui ne savait pas lire. Elle ne souhaitait pas que ses enfants restent sans instruction, cependant pas question de les mettre à l'école d'Etat, elle n'en avait pas les moyens, leur apporter de quoi se nourrir chaque jour étant sa préoccupation première. C'est ainsi que j'allais les rencontrer eux trois.